En pleine crise, Volkswagen fait une offre “surprenante” à la presse française : le chantage financier.
Les relations complexes et les dépendances, entre les grandes marques et les titres de presse, sont de nouveau sous le feu des projecteurs.
Suite à la révélation du “scandale Volkswagen” le 17 septembre 2015 (l’installation illégale d’un logiciel permettant de tromper les contrôles antipollution), concernant 11 millions de véhicules diesel dans le monde, dont près de 950.000 en France, le groupe allemand est dans la tourmente.
Dans le but de faire taire les journaux français et ainsi limiter l’impact sur son image, le groupe Volkswagen ayant déjà perdu -30% de sa valeur en bourse, sans parler de l’amende potentielle de 18 milliards $ et du coût de rappel des millions de véhicules concernés, son agence d’achat d’espace, MediaCom (groupe WPP), a contacté la presse française le 22 septembre dernier…
Le chantage à 1,4 million €
Preuve flagrante de cette démarche intéressée, Le Canard Enchaîné révèle aujourd’hui (édition du 30.09.2015) cet extrait du mail envoyé par la régie publicitaire “366” aux dirigeants des principaux quotidiens régionaux :
“Si nous pouvons assurer formellement à l’agence (MediaCom) et à la marque (Volkswagen), que lors des dates de parutions des 6, 8 et 10 octobre prochains, il n’y aura aucun article relatif à la crise Volkswagen, nous conserverons les investissements. Soit 315.000€.”
“Si pas possible de tenir cet engagement, nous serons dans l’obligation d’annuler ce dispositif (l’achat d’espace publicitaire).”
En plus de ces 3 journées à +300.000€, le groupe Volkswagen et l’agence d’achat d’espace MediaCom mettaient également en balance les investissements publicitaires de la marque Audi.
Des investissements prévus dans le cadre d’une nouvelle campagne de publicité devant être diffusée en octobre et novembre prochains, ainsi que toutes les insertions presse du groupe, elles aussi prévues d’ici la fin de l’année : un pactole total de 1.465.000€.
À nuancer ?
• Bien que la formulation d’un tel mail soit évidemment plus que “maladroite”, peut-on reprocher à un annonceur de retirer ses achats d’espace dans des journaux relayant son mauvais comportement ?
• Pour éviter ces accusations de chantage, la vraie solution n’aurait-elle pas été de couper purement et simplement tous les investissements publicitaires dans les médias ? La réponse est certainement oui, mais cela n’aurait pas permis de “peut-être” éviter des articles gênants.
• Des titres de presse vont-ils céder aux sirènes de Volkswagen ? Le Canard Enchaîné indique que certains éditeurs de province on déjà “envoyé bouler” l’annonceur. La vraie réponse se fera dans les kiosques : rendez-vous dans les colonnes économiques et automobiles de la presse française, début octobre prochain.
Réaction de MediaCom et 366
LLLLITL a contacté la régie MediaCom pour obtenir et diffuser une éventuelle réaction ou réponse de sa part. Voici les éléments de réponse obtenus : la régie nie les affirmations dévoilées par Le Canard Enchaîné et évoque “un décalage” plutôt qu’un “chantage”.
“Volkswagen a décidé de décaler ses campagnes dans la presse française pour éviter un télescopage entre une publicité et un article sur le scandale qui secoue le groupe.”
Quant au Volkswagen Group France, il dément “formellement” ces affirmations :
“Il n’a également jamais été question d’annuler des campagnes publicitaires en relation avec la publication d’informations sur le groupe Volkswagen.”
Et enfin Pierre Conte, président de GroupM pour la France, la maison mère de MediaCom, va dans le même sens et précise en complément :
“Volkswagen nous a demandé, ce qui est commun dans les crises, de veiller à ce qu’il n’y ait pas un effet de contraste pour une campagne placée à côté d’un article qui parle du sujet, et nous avons demandé à décaler les campagnes.”
Difficile donc de distinguer le vrai du faux. Si Le Canard Enchaîné n’a pas modifié les extraits de mails et qu’ils sont bien authentiques, difficile de croire au démenti… Surtout vues que les écrits ne sont pas remis en question et que certains journaux semblent avoir été choqués par l’email qu’ils ont reçu.
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Au final, même si la démarche ne partait pas d’une mauvaise intention, la formule employée dans l’email de la régie 366 était clairement peu maligne (elle aurait certainement fait bondir n’importe quelle agence de relations publiques). Une demande aussi énorme ne restant que rarement sous silence, d’autant qu’elle touche en plein coeur l’impartialité des médias fragiles face aux puissants annonceurs.